Il gardera ensuite le silence pendant près de 10 ans. « En grande partie à cause de l’Algérie. Quand j’ai compris que l’on torturait dans ma langue, je me suis tu. Pendant ce silence, pour vivre je rédigeais des articles d’encyclopédies et de dictionnaires. » Ce silence, il le brise avec fracas quand paraît, d’abord sous le nom d’emprunt d’Urbain d’Orlhac en 69 puis sous son vrai nom en 71, « Le château de Cène », qui lui vaut un procès pour outrages aux bonnes mœurs. Réduit à l’image d’un pornographe, Bernard Noël réagit ensuite en inaugurant une longue série de textes à caractère politique avec « L’outrage aux mots » dans lequel il donne naissance au principe de « sensure » et développe l’idée de la « castration mentale ».
Privation du sens
« Le pouvoir bourgeois fonde son libéralisme sur l’absence de censure, mais il a constamment recours à l’abus de langage. Comme beaucoup, j’ai cru longtemps qu’il y avait d’un côté les pays autoritaires qui pratiquaient la censure et de l’autre, le monde libre. Mais cette “liberté“ est une blague. Quand le rideau de fer est tombé, j’ai mené quelques entretiens dans les pays de l’ancien bloc socialiste. Une ancienne syndicaliste et militante polonaise m’a dit ainsi : “ Le problème aujourd’hui, c’est qu’on ne sait plus qui est l’ennemi.“ La censure des régimes autoritaires réduit au silence, mais là où la censure est privation de parole, la « sensure » est privation de sens, ce qui est la forme la plus subtile de lavage de cerveau. »
Il y a une résistance dans la langue de Bernard Noël. Et la débauche de sexes et de fluides séminaux qui inondent « Le château de Cène » est à entendre comme un cri de révolte, quelque chose d’inacceptable qui refuse d’être privé, castré de ce caractère inacceptable.
Compagnonnage artistique
Bernard Noël pratique aussi avec bonheur le compagnonnage artistique. Une “pratique de l’amitié“ qui l’a mené à signer de très nombreux livres d’artistes à l’instar du « Livre de l’oubli » réalisé aux côtés du peintre Olivier Debré dont il était très proche, ainsi que « Le livre des morts », conçu en 2016 avec le peintre axonais Jean-Marc Brunet.