Le constat d’un essoufflement financier
Le rapport de la Chambre régionale des comptes, consacré à la gestion du Département depuis 2019, dresse un bilan clair : malgré une gestion jugée globalement rigoureuse, le modèle financier des Départements est désormais à bout de souffle.
Le rapport confirme la fiabilité des comptes du Département de l’Aisne, saluant notamment les progrès dans la qualité de l’information financière grâce à l’expérimentation sur la certification. Il reconnaît aussi les efforts de maîtrise des dépenses et de la dette entre 2014 et 2022. Pourtant, ces efforts sont insuffisants face aux charges croissantes liées aux politiques sociales, sur un territoire marqué par de lourdes difficultés socio-économiques : un taux de chômage de 10,7 %, un taux de pauvreté de 18 % et un nombre de bénéficiaires du RSA, et de l’AAH (Allocation Adulte Handicapé) bien supérieurs à la moyenne nationale.
Ces charges ne sont que partiellement compensées par l’État, ce qui entraîne une fragilisation de la capacité d’investissement, notamment sur les routes et les collèges. L'Aisne, avec ses 798 communes (dont 75 % ont moins de 500 habitants), se distingue également par un niveau élevé de subventions au bloc communal, justifié par son maillage territorial très éclaté.
Le CA 2024 illustre lui-aussi cette dynamique complexe. Après un BP 2024 initialement voté en déséquilibre, et malgré l'absence de réponse favorable à la demande d'aide exceptionnelle de 22,5 M€ à l’État, le Département a réussi à rééquilibrer ses comptes en cours d'année grâce à une série de mesures d’urgence : gel ou report de certaines subventions, ajustement des dépenses au centime près, suspension de dispositifs optionnels. Résultat : un excédent net modeste de 1,2 M€ fin 2024. Les taux de réalisation élevés (près de 99 % en fonctionnement) témoignent d’une gestion rigoureuse, mais aussi de la très faible marge de manœuvre restante.
Budget primitif 2025 : une année de vérité pour l’Aisne
Le budget primitif de 729,2 M€ adopté à l’unanimité des suffrages exprimés se présente comme un « budget de gravité », a insisté le président du Conseil départemental, Nicolas Fricoteaux.
Le budget 2025 ne bénéficie d’aucune des recettes exceptionnelles mobilisées en 2024 (fonds de sauvegarde de l’État ou excédents budgétaires). À l’inverse, la loi de finances 2025 a amputé les ressources du Département de 5,2 M€ supplémentaires, via un nouveau calcul défavorable du taux de TVA, et a encore augmenté les charges du Département, notamment la cotisation à la CNRACL en hausse de 1,3 M€.
Face à cela, le Conseil départemental a poursuivi sa revue des politiques publiques, se concentrant désormais sur ses compétences propres, obligatoires ou prioritaires, tout en essayant de ne pas fragiliser ses partenaires dans leurs différents domaines d’activité à travers la concertation.
Le Département s’est également fermé à toute nouvelle dépense imposée par l’État sans compensation, notamment en matière de solidarité avec l’exemple récent du non-paiement à la CAF de l’augmentation du RSA au 1er avril (revalorisation qui sera néanmoins versée aux bénéficiaires par la CAF).
Une incertitude persistante au-delà de 2025
« Dans la perspective d’une refonte du modèle de financement des Départements au niveau national, nous devons par anticipation, repenser nos modes d’action en étant inventifs, innovants, courageux, en rationalisant, en partageant la charge avec les usagers en capacité de le faire, comme pour l’APA » affirme le président, Nicolas Fricoteaux.
Malgré ces efforts, le président reconnaît qu’il n’est pas certain de pouvoir assumer toutes les charges d’ici à la fin de l’année. 2025 apparaît comme la dernière année où un budget équilibré est encore possible, avant une bascule potentielle en 2026, sauf à trouver rapidement des solutions avec l’État.
Des échanges sont donc en cours, au travers de rencontres ministérielles et de groupes de travail. Mais dans le contexte de l’absence de majorité claire au plan national, l’espoir d’une réforme structurelle rapide semble mince.
« 2025 est une année charnière. Sans réforme pérenne, nous ne pourrons plus garantir le financement des solidarités de proximité que nous devons aux Axonais. Du fait de la non-compensation des Allocations Individuelles de Solidarité, ce sont 100 M€, estimés pour 2025, qui vont nous manquer au regard des dépenses à engager au nom de l’État » a rappelé le président du Conseil départemental.
Le Département de l’Aisne reste donc très mobilisé aux côtés de l’Association des Départements de France pour faire entendre la voix des territoires les plus fragiles, et réclame une action rapide du gouvernement.